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Il s’appelle B. Il est originaire du Burkina et a 8 ans. Il est arrivé sur le caillou fin juillet, avec ses nouveaux parents. Ses parents adoptifs. Ses parents de coeur.

De coeur, peut-être pas d’emblée. Car oui, parfois, le coeur a besoin d’un peu de temps pour s’ouvrir à l’autre… Sans doute que ce petit garçon couleur ébène a besoin de temps pour trouver sa place dans ce nouveau pays, dans cette nouvelle culture, dans cette nouvelle famille, dans ce nouveau monde… Car tout pour lui est nouveau ici !!

Bien sûr, le choc culturel est sans doute moins violent qu’ailleurs. Car c’est un fait, le caillou est une terre de métissage et un modèle de tolérance !! Tu peux manger du porc, du boeuf ou du cabri, tu seras respecté ici. Tu peux parler créole, français, shi mahoré, chinois…, tu seras toléré (même si, ici comme ailleurs, tu peux parfois être stigmatisé…). Tu peux pratiquer la religion catholique, musulmane, bouddhiste ou hindouiste à ta guise: ta croyance sera reconnue.

C’est aussi et surtout pour ça que j’aime le caillou !! Au-delà des paysages époustouflants, je crois qu’il existe ici un vrai modèle du « vivre ensemble ».

D’ailleurs, pas de débat sur les régimes alimentaires ici !! En début d’année, à l’école, en fonction des croyances de chacun, on liste les restrictions de chaque enfant. Et on respecte ces restrictions en adaptant les repas à la cantine. Tout simplement…

Le vendredi, il n’y a donc jamais de viande, mais toujours oeuf ou poisson. Et les autres jours, souvent, du poulet.

Alors évidemment, ça fait tout drôle, d’ici, de voir tous les débats qui, en métropole, tournent autour de « Doit-on interdire le porc à l’école? ». Et si plutôt que d’interdire on commençait par respecter chacun dans son individualité?


Personne dans le monde
Ne marche du même pas
Et même si la Terre est ronde
On ne se rencontre pas

Les apparences et les préférences
Ont trop d’importance
Acceptons les différences

C’est vrai, faut de tout tu sais
Faut de tout c’est vrai
Faut de tout pour faire un monde

Personne dans la vie ne choisit sa couleur
L’important c’est d’écouter son coeur
Si celui du copain est différent, très bien
C’est le sien, tu as le tien et j’ai le mien !

Alors donnons-nous la main

Il est loin le temps où on regardait des séries télé qui prônaient la tolérance,  l’ouverture et la solidarité !!

Nul besoin de te dire que quand j’entends dire que la France est un pays de « race blanche », ça me hérisse légèrement les poils…

Bref, qu’est-ce que ce petit B. connait de ce qui se passe dans son pays depuis qu’il l’a quitté? A-t-il entendu ici ou là évoquer le coup d’état qui rend la situation particulièrement instable dans cette contrée si proche géographiquement? S’inquiète-t-il pour ses amis qu’il a été contraint de quitter? Est-il soucieux pour ceux et celles qui ont pris soin de lui dans cet orphelinat catholique qui l’a hébergé depuis sa naissance jusqu’à son exil? Ou ignore-t-il tout de ce qui se passe dans son ancien (mais très récent) « chez lui »?

B. est un élève de l’école. B. est le fils d’une collègue. Mais B. se bagarre de plus en plus souvent avec ses camarades, dans la cour de récréation. Et il commence par être stigmatisé par les autres comme étant « celui qui tape et qui vient d’Afrique ».

Je suis spectatrice de ce que vit ce petit B. Je voudrais le prendre dans mes bras, le rassurer. Lui expliquer que oui, il a le droit de manifester de la colère, parce qu’il ne doit pas bien comprendre tout ce qui se passe autour de lui. Mais je ne le fais pas. Pourquoi?

Probablement parce que je me dis que ce n’est pas mon rôle. Que je ne suis pas sa mère. Et puis, il ne supporte pas le contact et fuit dès qu’on s’adresse à lui et qu’on lui montre de l’intérêt. Qu’a-t-il vécu, ce petit B., avant d’arriver dans cette école?

Lors des entretiens pour l’adoption, Mme Douceur, la psychologue, nous avait un jour demander comment nous envisagions la rencontre avec notre futur enfant…

Je me souviens qu’on avait répondu qu’on l’envisageait sobre et émouvante. Pas comme dans ces documentaires qui montrent des parents un peu désespérés d’avoir attendu souvent très longtemps, se ruant sur cet enfant qu’ils découvrent pour la première fois, sans comprendre que oui, c’est un fait, jusqu’à cet instant T, ils n’étaient rien pour lui. Tout au plus représentaient-ils des personnes dont il entendait vaguement parler comme étant ses parents… Sauf que quand, de parents, on n’en n’a jamais eu, est-ce qu’on sait seulement ce que cela signifie?

Non, je n’envisage pas la rencontre de cette façon… Si je ferme les yeux et que je l’imagine, cette rencontre, je nous vois plonger nos regards bienveillants dans celui de ce petit être, tout en serrant très fort, Chéri et moi, nos doigts entrelacés, sans même avoir besoin de mettre des mots sur ce que nous ressentons.

Comment exprimer l’indicible de toute façon? Parfois, le silence est d’or…

De la même façon, j’ai le souvenir qu’un jour, Mme Douceur nous avait demandé comment nous réagirions si on rencontrait des difficultés avec notre enfant. Je lui avais répondu que nous réagirions de la même façon que n’importe quel autre parent, biologique ou pas. Qu’on essayerait de comprendre l’origine du mal-être, qu’on n’hésiterait pas à se faire accompagner si besoin, par un psychologue ou une association type EFA.

Elle avait insisté en nous disant: « Mais imaginez qu’un jour, cet enfant devenu adolescent vous dise que vous n’avez aucun ordre à lui donner parce que vous n’êtes pas son père/sa mère! »

On a répondu qu’à nos yeux, sans minimiser la particularité de la parentalité adoptive, on pensait que la crise identitaire que tout ado rencontre à un moment donné était difficile à gérer pour tous les parents, sans distinction.

Que finalement, qu’on soit parent adoptif, biologique ou autre, on aurait quoiqu’il arrive à s’adapter à l’enfant que nous aurions, peu importe les difficultés que nous serions amenés à rencontrer.

Et figure-toi que c’est arrivé à une amie récemment… Elle est mère célibataire d’un enfant adopté à Madagascar.

Son fils, O., lors d’une dispute, lui a envoyé en pleine tronche « De toute façon, tu n’es pas ma mère! » Vlan !

Posément, elle lui a dit qu’il avait le droit d’exprimer sa colère, mais qu’elle l’aimait et que tant qu’il serait chez elle, elle serait là pour l’élever et l’aider à grandir, comme n’importe quelle mère. Que si, en revanche, il voulait connaitre ses origines, elle l’encouragerait et l’accompagnerait pour l’aider à retrouver sa mère biologique. Mais que quoiqu’il arrive, elle resterait sa mère et lui son fils.

Après, forcément, elle m’a avoué avoir foncé sous la douche pour étouffer ses longs sanglots.

Je lui ai dis qu’il avait sans doute dû énormément culpabiliser de lui avoir dit ça… Et elle m’a confirmé que oui, il s’en est beaucoup voulu.

Bref, pourquoi je te raconte tout ça?

Parce que je sais qu’on est nombreux sur ce chemin… Alors oui, parfois, on nous demande à nous ce qu’on ne demande à personne d’autre, même aux pires parents incompétents.

J’ai souvent dit, d’ailleurs, pour voir ces mauvais parents défiler dans mes classes chaque année, qu’on devrait tous être obligés de passer un permis de parentalité (parce que qu’est-ce que l’agrément, si ce n’est un permis de devenir parent?).

Oui, ces questions peuvent effrayer quand on se lance dans l’aventure. Ou avant même de se lancer. Parfois, elles sont même un frein pour certains.

Pourtant, je crois qu’il est essentiel de se poser des questions en amont, particulièrement quand on se lance dans un projet d’adoption.

Evidemment qu’on n’aura pas toutes les réponses à ces questions !! Ou encore que, confrontés à la réalité, on révisera les certitudes que l’on avait. Mais l’essentiel est et sera toujours d’être capable de s’adapter à l’instant T…

Après, au même titre qu’il existe un réel tabou autour de l’infertilité, je crois qu’il y a beaucoup de chemin à parcourir pour faire évoluer les choses autour de l’adoption.

Ce qui me choque, c’est que souvent, quand on parle d’un enfant qui a été adopté, je connais tout de son histoire d’adoption. Mais boréal, avant d’être « l’enfant adopté de… », n’est-il pas juste « l’enfant de… »?! Pourquoi préciser???

On pointe souvent du doigt les difficultés que peuvent rencontrer certains parents adoptifs. D’ailleurs, c’est presque entendu dès le départ que si tu adoptes, tu dois te préparer à en chier des ronds de chapeau !!

Mais je crois que déjà, en parlant de toutes ces histoires qui se passent bien, ça permettrait de voir que oui, c’est possible. On peut former une belle famille harmonieuse, même en ayant eu recours à l’adoption !!

Ensuite, peut-être qu’en arrêtant de stigmatiser ces enfants et ces parents en les réduisant uniquement à leur histoire adoptive, chacun se sentirait beaucoup plus légitime en tant que « parent de… » ou « enfant de… »

Alors l’idée, évidemment, n’est pas d’occulter l’adoption, qui fait partie de l’histoire ce ces familles. Mais je crois qu’il ne faut pas non plus lui donner trop d’importance… L’adoption fait partie de l’histoire de ces familles, elle n’est pas l’Histoire…

Car au-delà de l’adoption, il y a bien un papa et/ou une maman qui élève(nt) un ou des enfants en leur donnant le meilleur de ce qu’ils peuvent. Comme dans n’importe quelle famille sur cette planète en somme !