Alors voilà, j’ai attendu quelques jours avant de prendre la plume pour rédiger mon droit de réponse à la Teigne !

J’avais envie de la partager avec toi…

« Teigne,

Si je t’écris aujourd’hui, ce n’est pas pour exprimer ma fatigue, ma tristesse ou ma colère par rapport à ce qu’on vit actuellement. Je n’en n’ai plus la moindre envie…

En revanche, je voudrais te dire que malgré l’image que tu sembles avoir de moi, je me sens forte. Fragile en ce moment, évidemment, mais qui ne le serait pas dans ce contexte ? Il y a une semaine à peine nous apprenions la fin de tous les espoirs que l’on fondait dans ce qui devait être l’ultime tentative !! Ultime parce qu’on l’espérait gagnante… Ce devait être celle qui allait changer nos vies, enfin…

On se bat depuis bientôt 5 longues années, sur tous les fronts. On ne se contente pas de déléguer nos gamètes à la médecine, crois-moi !! En premier lieu, on se bat tous les jours pour que notre couple soit plus fort. Mais on se bat aussi individuellement. A ce titre, j’ai fait un long travail sur moi qui m’a apporté énormément. Et ces dernières années, j’ai l’impression d’avoir pris conscience de tellement d’éléments qui m’ont permis de gagner en compréhension de moi-même et de mon histoire, en maturité et en sérénité aussi.

Malgré tout, faire un travail sur soi, aussi utile que cela puisse être, ça n’est pas magique. S’il suffisait d’aller voir un psy pour avoir un bébé, il n’y aurait plus d’infertiles sur cette planète… Or, ils sont quand même 1 couple sur 6, dont 1 sur 2 qui sort de ce parcours les bras vides…

Je crois que pour la plupart des gens, et moi jusqu’à tout récemment, il est rassurant d’imaginer qu’on puisse avoir un minimum de maîtrise sur ce genre de choses. Alors on teste tout ce qui pourrait nous promettre de changer la donne : ostéopathie, hypnose, psychogénéalogie, microkiné, magnétisme, acupuncture, médecine traditionnelle chinoise… Je ne t’apprends rien, puisque tu as déjà testé bon nombre de ces médecines parallèles !

J’ai trouvé dans ces diverses techniques une forme d’apaisement. Pour être tout à fait honnête, je crois qu’elles m’ont permis de diminuer l’angoisse due à la passivité, en me donnant l’illusion que cela pourrait avoir un impact positif sur tout le reste…

Mais avec le recul, ce n’est pas sain. C’est juste une manière inconsciente d’exprimer le fait qu’on n’accepte pas la réalité, notre réalité. Réalité sur laquelle, en ce qui nous concerne, on n’a absolument aucune emprise…

D’ailleurs dans tout ça, j’en avais oublié une chose essentielle : donner la vie, c’est surtout une question de chance ! Si 1 couple sur 6 n’a pas la chance de pouvoir se reproduire comme il le voudrait, tous ces couples n’ont pas forcément de lourds vécus. Certains ont même eu une vie plutôt « facile » jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à l’infertilité. A l’inverse, certains couples, avec une histoire de vie extrêmement douloureuse, n’ont aucune difficulté pour se reproduire. Certains enfants sont même conçus suite à des viols…

Alors non, non et non !! J’ai passé des années à me sentir responsable en me disant que quelque chose clochait dans ma tête, en pensant que j’avais un ou des blocages inconscients. Mais je crois surtout que c’est juste une question de (mal)chance. (Et une question environnementale aussi, mais ça, tout le monde a un peu trop tendance à l’occulter… Parce que ça signifierait que ça pourrait toucher tout le monde et donc pour le coup, c’est effrayant…)

Au même titre que quand on développe un cancer colorectal ou cérébral, on n’a juste pas tiré le bon numéro. Ce n’est pas de bol !!

On voudrait trouver des explications rationnelles, parce que ça nous permettrait de mettre du sens à l’insensé. Mais force est de constater que parfois, certaines choses n’ont pas de sens… Elles se produisent, on les subit et c’est comme ça… Stop à la masturbation intellectuelle !

Du coup, j’en viens donc à cette conclusion : la meilleure façon de surmonter les épreuves consiste juste à accepter que la vie n’est qu’une immense loterie. Parfois on gagne, parfois on perd. Mais finalement, ce n’est qu’une question de chance…

Or, sur ce facteur chance, on n’a absolument aucun contrôle ni aucune emprise. Les choses se passent comme elles doivent se passer à un instant T. C’est comme ça…

Je n’ai pas spécialement envie de revenir avec toi sur cette dernière claque qu’on vient de prendre. Ce que je sais, c’est que j’ai passé des mois et des mois à chercher à débloquer des verrous inconscients qui n’existent pas !! Mon cerveau, tout aussi puissant qu’il puisse être, n’a pas pu influer sur le fait qu’on n’obtienne aucun embryon vitrifié malgré deux donneurs fertiles, en apparence. La clinique elle-même l’a reconnu : c’est rare et ce n’est pas de chance…

Je n’ai pas l’intention d’endosser cette responsabilité bien trop culpabilisante !!

Et si on suivait cette logique du « C’est dans la tête », quid de ces messieurs ? On fait un enfant à deux, jusqu’à preuve du contraire… A moins que ce soient nos blocages respectifs qui créent un immense blocage nous empêchant de devenir parents ?! Et ben on n’est pas dans la mouise… Ca veut donc dire que tous les parents de la Terre sont exempts de blocages ?

Bref voilà ma théorie : même si c’est difficile à admettre, nous avons juste manqué de chance. Point final ! Mais est-ce que cela signifie qu’on doit oublier notre rêve pour autant ? Non, non et non !!! Ou peut-être que oui, mais ce sera à nous d’en décider. Quand nous serons prêts, si nous le sommes un jour…

Notre rêve, on va s’y accrocher, parce qu’on y croit et que personne, je dis bien personne, ne pourra nous le voler en nous disant ce qu’on doit envisager ou non pour la suite.

Que ce soit en pensant bien faire ou pas, tu t’es montrée extrêmement maladroite en me disant, seulement 5 petits jours après le résultat, comment nous devrions envisager notre avenir.

C’est comme si, quand tu essayais d’avoir A., juste après une nouvelle fausse-couche, je t’avais dit : « Mais enfin, arrête de t’entêter !!! A un moment donné, il faut que tu fasses un travail sur toi pour comprendre d’où viennent les blocages !! Et puis bon, vous ne pensez qu’à ça, vous ne vivez que pour ça. Il faut vivre !! »

A. ne serait pas auprès de vous aujourd’hui…

Et puis c’est étrange de nous conseiller de vivre. Est-ce qu’on donne l’image d’un couple mort ? Contrairement à beaucoup de couples infertiles qui se replient sur eux-mêmes (et je peux aisément le comprendre devant la difficulté de ce parcours et les nombreuses maladresses auxquelles on est bien trop souvent confronté…), on a toujours, et c’est notre force, continué d’avoir une vie sociale, de sortir (resto, ciné, concerts…), de rire, de vivre !! Sans jamais, à aucun moment, avoir l’impression d’être morts…

Sauf ces dernières semaines, mais j’étais alitée à cause de ma hernie…

Alors oui, aujourd’hui, parce que c’est tout récent, parce que c’est injuste et parce que c’est excessivement violent, on éprouve le besoin de se replier sur nous-mêmes. De s’enfermer dans une petite bulle d’amour le temps de digérer. Et de reprendre notre souffle. Mais ça ne fait pas de nous des morts-vivants !!

Je crois que nous sommes les seuls à-mêmes de savoir comment dessiner notre avenir à l’heure actuelle. Alors bien sûr, on n’a pas toutes les réponses, parce qu’on est sonné et un peu perdu. Mais ce que je sais, c’est qu’on n’a ni besoin de conseils, ni besoin de jugement, seulement de l’écoute, de l’affection, de l’empathie et du soutien.

Je terminerais en te disant que oui, on a déboursé 12000€ cette dernière année pour essayer d’atteindre notre rêve. Oui, on est ruiné pour le moment. Mais parfois, tu sais, certains rêves méritent qu’on dépense sans compter, parce qu’ils en valent réellement la peine. Jamais on ne fera une croix sur notre rêve pour des raisons strictement financières, même si c’est extrêmement violent de devoir s’endetter pour un projet aussi noble et beau que celui de pouvoir un jour donner la vie…

De la même façon, si d’aventure on devait envisager de repartir et que ça impliquait, notamment pour des raisons financières, morales et/ou logistiques, que je m’absente quelques jours, je n’hésiterais pas. Ce projet, c’est le projet de notre vie… Ce n’est pas une simple lubie ou un caprice passager…

Ce mail n’attend pas de réaction de ta part. C’était simplement important pour moi de te faire part de ce que je ressentais et je n’ai pas spécialement envie de revenir dessus.

Je te remercie d’avance de respecter mon besoin de ne plus évoquer tout ceci par la suite. »

Tu crois que c’est assez explicite? Je pourrais aussi me contenter de lui demander d’aller se faire foutre, mais tu en conviendras: c’est un poil vulgaire. Et puis, devant l’obligation de me la coltiner tous les jours au boulot, je suis un peu contrainte d’arrondir les angles…

Alors, j’envoie ou j’envoie pas?